- VIEIRA (A.)
- VIEIRA (A.)Célèbre jésuite portugais du XVIIe siècle, Vieira est la figure à la fois la plus extraordinaire et la plus représentative de son temps au Portugal. On le trouve partout au premier plan, dans l’éloquence sacrée, la politique, l’apostolat, dans la défense des esclaves et des nouveaux chrétiens, dans la littérature et le messianisme. Remettant toutes choses en question, il plaint ceux qui ne savent pas se faire des ennemis. Intransigeant sur la foi, il est un apôtre de la tolérance. Son sens pratique est étonnant et cependant il croit le monde à la veille du second avènement du Christ. Son millénarisme mitigé est en faveur du Portugal, dont toutes les tribulations récentes n’étaient que les épreuves purificatrices, signes de l’imminence de l’intervention divine. Ce visionnaire courageux a une ampleur de vues étonnante pour son époque, sa pensée est à l’échelle du monde.L’homme d’action et l’orateur sacréNé à Lisbonne, António Vieira va très tôt au Brésil où il entre dans la Compagnie de Jésus à Bahia. Il veut évangéliser les Indiens; on en fera un professeur. La lutte contre les Hollandais le lance dans la politique. À partir de 1641, il est au Portugal où une profonde amitié le lie bientôt au nouveau roi Jean IV. Il devient son conseiller et son prédicateur attitré. Il voyage en France, en Hollande et à Rome pour des missions officieuses. Ses plans audacieux, ses activités indiscrètes irritent. En 1653, il retourne au Brésil et peut enfin évangéliser et protéger les Indiens. Les colons, furieux, le réexpédient en Europe. L’Inquisition ouvre alors son procès qui dure de 1663 à 1667. La politique le sauve; il va prêcher à Rome, y triomphe et retourne au Brésil en 1680. Il meurt, ses illusions intactes, à Bahia, dans sa quatre-vingt-dixième année.Vieira a revu et publié deux cent quatre de ses sermons. Pour l’entendre on réservait sa place à Lisbonne et on se bousculait à Rome. Il a parlé devant les rois et les cardinaux aussi bien que devant les esclaves dont il compare, au début de sa carrière, les souffrances avec celles de Jésus sur la croix. Avec lui la chaire chrétienne devient une tribune politique où tous les grands problèmes du moment sont traités et des solutions proposées. Les fidèles, assurés de ne pas s’ennuyer au sermon, risquent souvent d’être pris à partie. Pour Vieira, chaque sermon est un combat; il exige toujours quelque chose de son public. Il veut l’efficacité avec passion, parle à chacun le langage qu’il peut entendre et semble connaître tout le monde personnellement. La richesse de son vocabulaire contribue pour beaucoup à l’impression de variété de ses discours. Prédicateur passionné, Vieira est parfois apocalyptique, il ose apostropher Dieu. Son style est souvent heurté. Marqué par le goût de son époque, il est obsédé par la cadence binaire et toujours attentif aux échos verbaux qui peuvent être des indications divines. Malgré cela, des discours entiers conservent encore une vie frémissante. On cite toujours le Sermon dit de saint Antoine aux poissons , le Sermon pour le succès des armes du Portugal contre la Hollande , le Sermon de la Sexagésime. Les sermons de Vieira et sa correspondance restent des œuvres maîtresses de la littérature portugaise, où bien des modernes cherchent encore des modèles de pureté et d’élégance de style.Les combats et les inspirationsLa correspondance de Vieira (plus de sept cents lettres adressées à plus de soixante correspondants), ses rapports et avis aux rois et aux corps constitués montrent à quel point la politique, inséparable de son utopie messianique, a empli ses pensées et motivé son action. Ardent patriote, il a l’envergure d’un homme d’État. Défenseur acharné de la frêle indépendance retrouvée par le Portugal en 1640, il lutte contre la Castille en Europe et contre la Hollande au Brésil et en Afrique. Il combat aussi avec audace l’Inquisition portugaise dont le zèle excessif et intéressé provoque la fuite des nouveaux chrétiens et de leurs capitaux. Vieira prend de grands risques en faveur des nouveaux chrétiens. Il achète des vaisseaux, organise des compagnies de commerce, propose des mariages, ose suggérer des abandons. Il a des plans pour tout, mais la hardiesse de ses vues se heurte aux voies traditionnelles d’un conservatisme étroit et efficace. Les successeurs de Jean IV, même Pierre II, qui l’a protégé, lui font comprendre que la cour peut très bien se passer de ses avis. On oublie les services passés pour ne plus voir que le gêneur.Vieira a appris les dialectes indiens, il a rédigé des catéchismes en sept langues différentes. Les conversions qu’il a suscitées sont célèbres. Il a œuvré surtout presque toute sa vie en faveur des Indiens, et il a payé de sa personne, affrontant la colère des gouverneurs, de certains ordres religieux et des colons. Il dénonce les abus intolérables et veut transformer les Indiens en ouvriers agricoles libres qui travailleront pour eux-mêmes une moitié de l’année, de deux mois en deux mois, et l’autre moitié pour un maître qui leur versera un salaire convenu à l’avance. Les expéditions vers l’intérieur (dans le sertão ) seront étroitement réglementées et surveillées par des religieux responsables. Vieira a protégé également les Noirs, mais il s’est résigné à leur esclavage devant les impératifs économiques et dans la parfaite conscience de l’inutilité de tout effort en vue d’une émancipation. Est-il besoin de dire que les résultats obtenus n’ont pas correspondu à la grandeur des efforts fournis?Vieira est l’héritier d’une tradition qu’il systématise. Le Portugal est le peuple élu de la loi de grâce, il a succédé à Israël lorsque celui-ci a démérité. Dieu a fait de ce petit pays le messager de sa parole à travers le monde. La volonté divine a permis qu’une aussi faible nation entreprenne de si grandes conquêtes. Jean IV – ou l’un de ses successeurs – régnera sur le cinquième empire du monde, qui doit durer mille ans avant la venue de l’Antéchrist, l’ultime combat et le Jugement dernier. Dans cette lutte, juifs et nouveaux chrétiens auront une place de choix. Son Histoire du futur (1647-1664), inachevée, est écrite en portugais et s’adresse à ceux qui ont la charge des destinées du Portugal. Elle doit éclairer leur pensée et guider leur action. La Clavis prophetarum, savant traité rédigé en latin, qui devait convaincre Rome et les théologiens, est restée également inachevée. Rome s’y est intéressé, mais trop tard. Vieira a emporté sa grande chimère dans la tombe après avoir promis successivement l’empire du monde à cinq princes portugais.
Encyclopédie Universelle. 2012.